Bref, c'est ça un insight.
La série Bref est de retour, et depuis le 14 février, on ne parle plus que d’elle.
Si elle nous parle à nous, c’est parce qu’elle nous a permis d’éviter le menu spécial Saint-Valentin (et ce kir à la rose qu’on n’avait pas demandé), et aussi parce qu’elle offre en 6 épisodes une magistrale démonstration de la force de l’insight.
L’insight, c’est le Graal du publicitaire. Une « vérité qui change tout », de celles que l’on espère trouver sous le sabot d’un cheval ou au détour d’un focus group.
C’est la passante de Baudelaire, entrevue fugacement, présente éternellement - « un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté dont le regard m’a fait soudainement renaître ».

L’insight, c’est une « bright truth » : une vérité brutale, profonde, quotidienne qui illumine notre compréhension du monde. Elle se niche dans des détails drapés d’anodin et ne se donne qu’à celui qui en tirera la jouissante conclusion.
- Ce jour où, en CE1, vous avez croisé la maîtresse chez Picard et que vous avez compris qu’elle avait probablement une existence humaine en dehors de la salle de classe ? Un insight !
- Cette soirée post bac-blanc où vous avez capté que le niveau de conversation des mecs de votre âge était inversement proportionnel à la quantité d’aftershave dont ils s’aspergeaient ? Un insight encore (et une nouvelle maxime : « si l’odeur d’un garçon te rappelle le sapin embruns pinède de ta Twingo, c’est que votre relation aussi, sent le sapin »).
- Ces premiers mois de maternité où, à la faveur de nuits hachurées comme les quarts de Violette Dorange, vous vous êtes dit que l’accouchement était juste l’arbre qui cache la forêt ? Un insight aussi.

Quand les marques se les accaparent et les relient à leurs produits, ces insights anodins deviennent de puissants atouts de communication - capables de creuser durablement un sillon émotionnel.
- Quand Nike dit « just do it », on réalise que courir, c’est moins une question de jambes que de tête.
- Quand la RATP signe « À demain ! », elle nous rappelle gentiment qu’on est condamnés à se revoir, et qu’on ferait mieux de tirer parti de cette familiarité structurelle.
- Quand Always lance son mouvement #likeagirl, il nous fait prendre conscience de toute la force du sexe faible.
- Et quand Apple nous propose de penser différemment, elle élève en insight la notion même d’insight.
Mais alors, en quoi Bref.2 est-elle une série de l’insight (et une série d’insights) ?

Changer sa manière de voir les choses, c’est la chute de ces 6 épisodes – au cours desquels « je » va se rendre compte qu’il est « le mec du film ». Au sens propre évidemment – porté malgré lui au grand écran par une ex amère. Mais au sens figuré aussi, puisqu’il réalise que, dans le film de sa vie, il est plus figurant que metteur en scène. Un game changer insight qui lui permettra de reprendre sa vie en main en faisant enfin des choix.
Au-delà de cet insight névralgique, on a trouvé en bref (le mot et la série) tous les mécanismes à l’œuvre dans la construction et la restitution d’un insight publicitaire.
Qui dit bref dit fugace : la force d’un insight, c’est de cristalliser la fugacité pour lui donner la postérité d’une vérité. Dans la série, c’est ce petit billet roulé en boule qui explique à lui seul la conduite erratique de « Elle », galvanisée par la poudre. Ou le sempiternel gâteau au yaourt d’anniversaire (aplati, terne, insipide) que « Je » interprète comme la preuve d’un amour parental mal distribué (insight ou trauma, on vous laisse juge). Ces tout petits détails contiennent un grand récit.En publicité, c’est le ressort de la campagne « Thank you, Mom » de P&G, par exemple, qui raconte à travers d’imperceptibles gestes anodins (un sourire, un regard, un geste de réconfort) l’immensité de l’amour maternel et son pouvoir dans la trajectoire d’un athlète.
Qui dit bref dit story-telling : le pouvoir de l’insight, c’est de déverrouiller une vérité. Et parfois, cela passe par une image – qui permet d’extrapoler pour mieux synthétiser. Jean de la Fontaine l’avait bien compris, lui qui écrivait : « le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant il le faut amuser encore comme un enfant ». Par le truchement de l’allégorie, on isole un comportement de son décor naturel et on le révèle dans la limpidité de son essence. Dans la série, c’est l’image de la voiture-couple : plus vous prendrez soin de l’entretenir, plus elle ira loin. Ou encore, percutante de pertinence, l’image de la soignante-commando. Celle qui mène jusqu’au bout une bataille perdue d’avance, mais âprement disputée avec des baies de goji pour grenades de fortune.
En publicité, c’est la campagne d’Intermarché « La vie ne devrait pas coûter aussi cher », par exemple, où des produits ordinaires sont traités comme de luxueuses denrées (« poussin, tu sais où sont les flûtes à grenadine ? »).
Qui dit bref dit universalité : le propre d’un insight, c’est de transformer une singularité en universalité – dans une logique de synecdoque (la partie pour le tout). « Je est un autre », écrivait Rimbaud. Dans la série, le personnage principal a pour prénom un pronom (« je »), il nous raconte un quotidien banal, émaillé de considérations universelles (payer le loyer, faire acte de présence au déjeuner dominical, enchaîner les rendez-vous foireux). Cette posture d’anti-héros, qui partage ses doutes sans filtre, constitue un terreau d’identification pour le téléspectateur. Comme le joyeux bordel du « Place à la Vie » d’Ikea, ou les parfaites imperfections des « Real Beauties » de Dove.
Qui dit bref, enfin, dit immédiateté : un insight se découvre brusquement, et se partage tout aussi brusquement. C’est un « eurêka » d’humanité : le choc de sa découverte conditionne en partie son effet. Tournée sous le sceau du secret, Bref.2 a été annoncé deux semaines avant sa sortie – après une décennie d’absence qui faisait qu’on ne l’attendait plus. Et quid du choix de l’affichage métro ? Sûrement pas l’orientation médiatique la plus performante, mais en s’insérant dans le train-train quotidien, c’était celle qui disait le mieux : « Bref est de retour dans votre vie ». On finira sur la sobriété de ce « re », qui réactive instantanément une conversation entamée il y a dix ans.

Bref, avec cette saison, nos petits cœurs de publicitaires ne savaient plus où donner de l’insight.
Ironique, n’est-ce-pas, quand on se rappelle la manière dont la publicité est évoquée dans l’épisode 2 ? Elle est incarnée (littéralement) par le couple formé par Keyvan (le frère de « je ») et son ami Jérôme : « Quand mon frère parle, j’ai toujours l’impression qu’il y a une musique de pub derrière (…) et Jérôme, il fait les slogans ». Autrement dit : « ces deux-là sont aussi mensongers que la publicité ».
Chez LMWR, on a envie de faire le pari que la pub.2 racontera la vérité – ou plutôt une vérité bien choisie.